Quels avenirs pour les autoroutes urbaines ?

Commissaire de l’exposition « Les Routes du Futur du Grand Paris » au Pavillon de l’Arsenal, Mathieu Mercuriali s’est penché sur les autoroutes urbaines et leur avenir, en plein projet de loi d’orientation des mobilités, discuté en ce moment à l’Assemblée.

La transition numérique a bouleversé tous les domaines industriels et sociaux, à l’exception des infrastructures de mobilité. La promesse de drones capable de transporter les hommes et les marchandises doit se confronter à une réalité autre : les nuisances engendrées par les autoroutes et la prise de conscience que les ressources énergétiques fossiles comme le pétrole ne sont pas infinies. Si les voitures autonomes et les transports à la demande – VTC, covoiturage, voitures, vélos et trottinettes à la location – ont été développés grâce aux applications mobiles, ils ne peuvent pas se passer des chaussées bitumées. Ces infrastructures, supports de cette mobilité, vont-elles échapper à cette révolution ? Quel sera leur avenir dans la ville de demain ?

80,9 % des Français possèdent une voiture et 70,2 % utilisent leur véhicule pour se rendre au travail

Aujourd’hui, la France compte près de 12 000 kilomètres d’autoroutes, dont 1250 uniquement en Île-de-France, soit 10 % de la totalité. Concurrencée par le rail et l’aérien, la route reste, au quotidien, le lieu du déplacement des personnes et des marchandises : plus de 4 millions d’automobilistes parcourent quotidiennement les routes nationales et autoroutes d’Ile-de-France. Selon les données de l’INSEE de 2015, 80,9 % des Français possèdent une voiture et 70,2 % utilisent leur véhicule pour se rendre au travail. Ainsi, les enjeux de mobilité représentent le sujet incontournable du développement des métropoles et s’imposent dans le cadre des prochaines élections municipales.

Développement et nuisances

Afin de comprendre le territoire d’aujourd’hui, il faut remonter aux Trente Glorieuses. Dans les années 1970, avec la mise en œuvre des programmes de villes nouvelles et l’expansion des zones de lotissements pavillonnaires, l’urbanisation par la voiture est en marche. Des rocades périphériques dans les métropoles et des rocades de contournement dans les plus petites agglomérations ont favorisé une industrialisation du territoire, qui est devenu un support de la logistique du quotidien, en accélérant le développement des franges périurbaines. La ville se construit autour de la mobilité.

Par la suite, la concurrence du rail va faire rage, avec un contrôle du territoire par les lignes à grande vitesse qui suivent souvent les tracés pionniers des autoroutes. Dès les années 1990, la congestion de certains tronçons, tel celui de l’A1 entre Paris et l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, fait apparaître un système autoroutier qui n’est plus adapté. Les travaux de transformation des autoroutes déjà construites – élargissement, changement de chaussée, création d’échangeurs – prennent le pas sur la construction de nouvelles. Les pouvoirs publics passent d’une vision technocratique du territoire à une gestion des usages et des nuisances suite aux réactions des habitants et des usagers. Le système se grippe, et deux nouvelles formes d’intervention vont s’enclencher sur le territoire : l’une, high-tech, avec des projets de grandes ampleurs, l’autre, low-tech, avec des interventions liées à la transition écologique.

L’arrivée des géants de la tech

Pour répondre aux nuisances sonores et à la pollution de l’air provoquées par le trafic autoroutier, des projets titanesques d’enfouissement vont voir le jour à la fin des années 1990 comme le tunnel duplex de l’A86 à l’ouest de l’Ile-de-France qui a pris presque 20 années à se réaliser. Plus récemment en 2017, le projet « E39 Coastal Highway Route » en Norvège propose de construire 1100 kilomètres d’autoroutes dont la majeure partie sera des voies en tunnel et immergées : une vision progressiste qui associe l’ingénierie des grands travaux et environnement. Aux Etats-Unis, Elon Musk, PDG de Tesla, a créé son entreprise pour investir dans ce marché grandissant : la Boring Company a mis au point un tunnelier de nouvelle génération qui permet d’accélérer les travaux, dont un premier tronçon a été creusé à Los Angeles.

En parallèle, des expériences hyper-technologiques sont opérées sur les véhicules comme les transports par drones d’Airbus ou les voitures autonomes de Google, invention apparue en 1925 sous le nom d’ « American Wonder » conçue par l’ingénieur Francis P. Houdina, qui traversa Broadway à New York, et mise en oeuvre sous la forme de nombreux prototypes de navettes à partir des années 1970 avec l’arrivée de la télématique. Malgré ces projets utopiques, les voitures autonomes ne pourront pas se passer des autoroutes, qui devront s’adapter à ces nouveaux usages et ainsi participer à la transition écologique, sans pour autant voir leur destruction immédiate rendue impossible par la quantité de matière à transformer.

Sans ces avancées technologiques, l’aventure de la vitesse n’aurait pas eu lieu

L’intégration des autoroutes dans le tissu urbain passe par des avancées technologiques et des changements d’usage. La matière déversée sur les routes et les mouvements de terrains pour en dessiner leur tracé sont au cœur du débat. Les premiers enrobés arrivent en France à partir de 1871 et, dès les années 1920, les avancées techniques permettent la réalisation à grande échelle de revêtements de route en goudron, en bitume, puis en tarmacadam (mélange de goudron et de gravillons), ainsi qu’en béton. Sans ces avancées technologiques, l’aventure de la vitesse n’aurait pas eu lieu. Aujourd’hui le Laboratoire central des ponts et chaussées (LCPC), avec l’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux (IFSTTAR), travaille sur la « route de 5e génération », qui associe la mise en œuvre de matériaux récents, la diminution de l’empreinte carbone, la résilience face aux phénomènes climatiques, l’autodiagnostic, l’accompagnement dans la sûreté. Grâce à ces recherches, les autoroutes franciliennes offrent un terrain de recherche pour la transformation des infrastructures existantes.

La voie nous appartient

En parallèle, depuis une vingtaine d’années, plusieurs initiatives d’occupation temporaire des autoroutes ont vu le jour en région parisienne, démontrant les potentiels du patrimoine routier. En 1994, les voies sur berges sont rendues aux piétons et cyclistes le dimanche, du 10 juillet au 30 octobre : cet évènement marque le début d’un changement d’usage possible des voies rapides. À partir de 2002, les voies sur berges rive droite se transforment chaque été en Paris plage. Le changement d’usage devient définitif en 2012, pour les voies rive gauche et en 2016 pour la rive droite, qui deviennent piétonnes, formant avec la rive gauche le parc Rives-de-Seine.

Des initiatives citoyennes se mettent en place :« La Voie est Libre » à Montreuil propose depuis 2009 l’occupation d’une bretelle de la RN186 ou l’événement « Lamaze, enlève tes bretelles » depuis 2013, à Saint-Denis, agit pour la suppression et l’enfouissement de l’autoroute A1. Ces actions citoyennes montrent le désir d’évolution des autoroutes urbaines, qui ont coupé des quartiers entiers de la périphérie des métropoles. Également au cœur de cette évolution, le boulevard périphérique parisien devra muter pour absorber la densification de ses abords avec les différents projets de bâtiments lancés lors des concours d’architecture Réinventer Paris et Reinventing cities, qui viendront s’insérer en alignement le long des voies ou même en les franchissant sous la forme de bâtiment-pont.

Pour répondre aux besoins d’une ville qui souhaite enfin franchir et inclure le périphérique, la consultation « Les routes du futur du Grand Paris » organisée par le Forum du Grand Paris, avec la région Ile-de-France et la ville de Paris propose une réflexion sur l’avenir des autoroutes franciliennes pensées par quatre équipes d’urbanistes et présentées au Pavillon de l’Arsenal à partir du 7 juin. Les hypothèses annoncées de transformation et adaptation de ces infrastructures urbaines anticipent les sujets qui seront énoncés par Loi d’orientation des mobilités proposées par le Ministère des Transports. Pour développer un territoire résilient et accessible à tous, il ne suffira pas de réfléchir sur les modes de déplacements, leur coût et leur impact, mais également sur les infrastructures routières : penser l’avenir des routes signifie anticiper nos déplacements futurs provoqués par les changements climatiques.

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